Au Pakistan, une femme a échappé de peu à un lynchage public dans un marché de Lahore, dans l’Est du pays. Une foule l’a accusée de blasphème parce qu’elle portait une tunique aux imprimés de calligraphie arabe. La question du blasphème est très sensible au Pakistan. Des allégations non-prouvées d’offense à l’islam peuvent entraîner des assassinats et des lynchages.
Cela s'est passé le week-end dernier dans le marché d’Ichhra à Lahore. Une femme flâne dans les rues de ce grand bazar à ciel ouvert, connu pour ses robes traditionnelles et son artisanat. Elle porte une longue robe blanche couverte de calligraphies arabes de couleurs pastel, et se fait soudain apostropher par des badauds, des hommes qui se mettent à l’insulter en l’accusant de blasphème. Une foule se forme et l’accuse de porter atteinte à l’Islam en portant un vêtement sur lequel, selon eux, des versets du Coran sont inscrits.
Tout a été filmé par des témoins et diffusé sur les réseaux sociaux. On entend les propos de la foule déchaînée dans l’extrait sonore qui suit. « J’aurais dû lui tirer dessus... J’ai envie de l’abattre. Elle a blasphémé le Coran. »
La foule, à l’extérieur de l’échoppe où la femme s’est réfugiée, crie : la décapitation est la seule réponse au blasphème.
Une policière présente sur les lieux tente de raisonner la foule. Plusieurs personnes présentes sur les lieux, dont des commerçants l’assistent. Ce ne sont pas des versets coraniques qui sont inscrits sur le vêtement de la femme prise pour cible, mais le mot Halwa, qui signifie jolie.
Mais rien n’apaise la colère hystérique de la foule. La policière parvient finalement à escorter la femme dans un commissariat tout proche. Elle devra présenter ses excuses auprès de mollahs en assurant qu’elle ne portera plus jamais le vêtement en question.
Cette femme a échappé de peu à un lynchage, d'autres personnes sont mortes
Il y a eu plusieurs cas horrifiants au Pakistan.
En 2021 par exemple, le meurtre d'un directeur d'usine sri-lankais qui avait été battu à mort et immolé par le feu par une foule de près de 800 personnes qui l'accusaient de blasphème à Sialkot dans la province du Pendjab. Des rumeurs l’accusaient d’avoir déchiré une affiche religieuse et de l’avoir ensuite jetée à la poubelle.
En avril 2017, un étudiant en journalisme avait été lynché par une foule qui l’accusait d'avoir posté sur internet des messages blasphématoires.
En 2014, un couple de chrétiens avait été accusé d’avoir profané le Coran… Ils avaient été lynchés puis brûlés dans un four dans l’usine où ils travaillaient.
Plus récemment, en août l’année dernière, une foule a saccagé un quartier chrétien à Jaranwala dans l’est du Pakistan, après avoir accusé deux frères qui y habitaient d’avoir profané le Coran. Près de cent maisons et une vingtaine d'églises ont été détruits.
Quelle réponse des autorités ?
La loi sur le blasphème existe au Pakistan depuis 1986. Elle a été instaurée sous le régime du général Zi Ul Haq qui a été à l’origine d’une islamisation du pays.
Mais la loi échappe aux autorités dans la mesure où souvent les cas de blasphème n’ont pas le temps d’arriver en justice, puisque des foules hystériques s’adonnent à des lynchages après de simples accusations formulées par n’importe qui. D’ailleurs, ces accusations de blasphème sont régulièrement utilisées comme des prétextes dans des disputes qui n'ont au départ rien à voir avec la religion, c’est ce qu’affirment les organisations de défense des droits de l'Homme.
La difficulté est qu'il s’agit d’un sujet extrêmement sensible et politique.
Car au Pakistan, de nombreux partis politiques religieux n’ont pas le pouvoir dans les urnes, mais ils ont celui de mobiliser la rue, en se servant de la religion. Il n’y a pas de remise en question de la loi sur le blasphème, de discussion, de débat sur le sujet. Les partis politiques, de politiciens n’osent pas s’élever fermement contre les dérives de la loi sur le blasphème tant le sujet est tabou et sensible.
Souvenez-vous de l’affaire Assia Bibi, cette femme chrétienne, accusée de blasphème envers en juin 2009, puis condamnée à mort en première instance… Lorsqu’elle est acquittée, dix ans plus tard des dizaines de milliers de militants extrémistes défilent dans les rues de plusieurs pays pour contester la décision de justice. Un gouverneur qui la soutenait publiquement a été assassiné par son propre garde du corps.
La question du blasphème est une poudrière au Pakistan.
rfi